Partez sous les Topiques!
Lavomatic, Nantes
Respirer C'est Consommer
Benoît Leys
Les petits zoizeaux s’élancent au dessus du grand champ de lavande portant dans leur bec le drap immaculé ; la pizza vole toute seule de pièce en pièce, ses
vaporeuses effluves se changent en une gentille fée qui tient les gourmets par le bout du nez ; fumet du rôti, arôme du café, humez-moi ce bon poulet du Gard !
La belle aux dents étincelantes passe ses journées les bras en l’air pour bien prouver qu’elle ne sent rien… Odeur et consommation font bon ménage, et pour cause,
ne dit-on pas de l’odorat qu’il est des Cinq Sens celui qui favorise le plus l’évocation, l’imagination subconsciente et la mémoire profonde. Pas de raison de se
priver d’une aussi efficace incitation à la consommation ! Deux façons de procéder s’offrent alors au marketing olfactif. Parler de l’odeur, la représenter
visuellement et développer un champ lexical et iconographique, assez facile à mettre en place. Plus épineux, le marketing olfactif direct, qui fait cette fois un
réel usage de la molécule, n’hésitant pas à diffuser la fragrance du croissant dans la rue, à orienter le torréfacteur dans le sens du ventilateur. Apparemment
imparable, car il devient impossible d’échapper au message publicitaire - expansion volatile de molécules de croissant - sauf à ne pas respirer : C.Q.F.D. “respirer
c’est consommer”. Or, encore faut-il que la présence de l’odeur soit commercialement pertinente. Bien sûr, Valérie Morraja ne recherche pas cette pertinence
incitative, et le décalage est bien réel entre une proposition artistique et un concept marketing. ODORAMA ne peut être confondu avec une campagne publicitaire ou
un hommage à la boisson la plus vendue au monde. ODORAMA, littéralement paysage olfactif, est une image d’Épinal de notre société de consommation, ou quand
Coca-Cola, LE Numéro Un Mondial des groupes impérialistes, rencontre Lavomatique, clinquante application pratique de l’American Way of Life. L’odeur du Coca-Cola
est somme toute très peu mimétique et ne parvient pas à évoquer autre chose que la nature chimique de tous les dérivés (sodas divers, chewing-gums et friandises
acidulées) du banal Cola. C’est bien ce glissement que désigne ODORAMA, cette noyade dans le banal urbain, cette perte d’une partie signifiante de l’objet convoqué,
ici le bon Coke bien frais. Au pays de la lessive, le parfum seul, sorti de son contexte et privé de son armée de slogans et de visuels rouge et blanc, se change en
petite question non formilée : que me rappelle cette odeur ? ODORAMA c’est un voyage-sur-place au pays des bonbons à dix centimes.
ODORAMA, 2001
Magnet
ODORAMA, 2001
Diffuseur d'huile essentielle, fragrance Coca Cola, minuteur
Dessin