HOMO ZAPPIENS ZAPPIENS
Galerie Art et Essai, Rennes
L'exposition HOMO ZAPPIENS ZAPPIENS s'inscrit dans une analyse globale des rapports que les artistes entretiennent aujourd'hui avec la télévision et la vidéographie. Tour à tour motif, sujet iconique et interactif, ou encore, référent citationnel, la "télévision" fait l'objet d'un intérêt indiscutable. Les artistes réinvestissent ou détournent l'environnement télévisuel par le biais de diverses expressions artistiques : l'installation, la photographie, la vidéo, la sculpture. HOMO ZAPPIENS ZAPPIENS propose alors au visiteur traditionnel de (re) devenir pendant un moment, un "téléspecta teur", grâce à un zapping possible entre les oeuvres.
Capture d'écran
ALSON 3
Jeune diplômée de la Villa Arson, Valérie Morraja a réalisé, depuis 1993, différents types de travaux, de l'installation à la vidéo en passant par la performance.
Attentive aux « phénomènes de société » ou « tendances », elle s'intéresse à l'intrusion d'éléments de fiction dans notre quotidien. Les fictions-vidéos qu'elle
produit renvoient à un genre hybride de la télévision, le documentaire-fiction. Son travail questionne la limite du vrai et du vraisemblable, qui est perturbée par
l'image et ses moyens de diffusion de masse.
ALSON 3, 1997
vidéo noir et blanc, 3 minutes 09 secondes
Alson 3 est une sorte de remake de la série des Documents interdits, qui a été diffusée à la télévision par la Sept sur un cycle de six mois. Cette série se composait de documentaires amateurs, enregistrements de situations invraisemblables ou irrationnelles. Au bout de six mois, le téléspectateur régulier apprenait tout à coup que « tout ce qu'il avait vu avait été truqué »… Cette campagne de désinformation avait pour but de souligner certains effets de manipulation de l'image télé. Après étude de la composition et du montage, image par image, de ces pseudo-documentaires, Valérie Morraja a cherché à rétablir les procédés visuels et syntaxiques de ce conditionnement télé : une voix off hypnotique , des plans très courts et entrecoupés de brouillage, une narration qui oscille entre un statut de documentaire et de fiction avec pour effet de dramatiser la situation... Alson 3 se présente comme un documentaire amateur aux images de mauvaise qualité. Deux voix off simultanées, une version en yougoslave et une en français, nous placent en situation de voyeurs avertis : les images proviennent d'un appartement équipé d'un système de vidéo-sur veillance ». La date du 20 décembre 1969 apparaît en haut de l'écran. On nous informe que « rien ne nous permet de préciser la situation géographique de cet appartement ». Nous observons un individu dans différentes attitudes : allongé dans un lit, assis dans les escaliers, «consterné » ou regardant par la fenêtre... Le commentateur semble le reconnaître : « L'individu que nous voyons ressemble étrangement à Alson 2... Nous le nommerons Alson 3. Il semblerait que l'échec de Alson 2 ait relancé les expériences entre terriens et (BIP)... ». Avec cette dernière phrase, nous basculons dans le paranormal, le sensationnel ou encore le « Top Secret », sans pouvoir vérifier l'information : nous ne connaissons rien de Alson 2..., et encore moins de Alson... Peu à peu, se crée un décalage entre ce qui est commenté et ce que nous voyons. Les expériences « scientifiques » consistent en apparence à l'ingestion d'un liquide, « un médicament ou un antidote » : « On a l'impression que Alson 3 est obligé de boire cela ». Les commentaires off confinent petit à petit à l'interprétation, évoluant de l'énoncé d'évidences à l'élaboration d'hypothèses chimériques. De plus, l'alternance systématique de questions et d'observations, associée à un débit mécanique et monocorde, déstabilise le regardeur et l'empêche de se questionner à son tour. Il est aussi constamment interpellé au cours de l'élaboration des hypothèses, comme pris à témoin : il est mis en situation d'investigateur. Enfin, la voix off se montre elle-même très sceptique quant à l'origine du document, ce qui renforce et crédibilise sa propre interprétation de l'image enregistrée. La construction narrative du film, avec des vues d'ensemble en plongée et certains effets de cadrage, des brouillages entre chaque scène et des plans très courts, produit une dramatisation qui participe de la manipulation, de la mise en scène des images. Sur un mode analogique, Alson 3 témoigne des dispositifs de communication télévisuels, et plus précisément d'une mise en scène de l'image propre aux documentaires sensationnels. La télévision, son ubiquité et sa simultanéité, génère une (con)fusion de la réalité et de la fiction qui prend une dimension politique : « Les micro-pouvoirs sont partout, nous sommes le jouet de fictions qui prescrivent des modes de vie ». L'artiste ne cherche pas à dénoncer la manipulation; elle s'empare de notre fascination à l'image en rétablissant un schéma proprement fictionnel.
Pour Valérie Morraja, l'artiste est celui qui «s'attache à inventer d'autres scénarios, d'autres modes de pensée ». Information, simulacre et dérision construisent une rhétorique, un langage qui jouent avec le monde, hyperréel et virtuel à la fois, qui s'agite dans le poste de télé.